Histoire

Focus sur le Plan Séquence



Silence! Ça tourne! ACTION!

De la séquence d’ouverture de la Soif du Mal d’Orson Welles (1958) en passant par le clip de la chanson de Come Into My World, de Kylie Minogue réalisé par Michel Gondry (2002), le plan séquence s’est frayé un chemin dans toutes les productions vidéo depuis l’invention du cinéma. Qu’est-ce que La sortie de l’usine Lumière à Lyon (1895), ou L’arrivée en gare de la Ciotat (1895) si ce n’est un plan séquence ?

 

 

Un plan séquence qu’est-ce que c’est ?

 

Le terme plan séquence se décompose en deux termes : plan, c’est-à-dire les images captées entre le moment où la caméra est mise en marche et le moment où elle arrête de capter des images. Et séquence, c’est-à-dire toutes les images prises dans un lieu et dans une même temporalité. On peut donc dire qu’un plan séquence, c’est une séquence continue filmée sans coupure de montage.

 

 

Comment se fait un plan séquence ?

 

Le tournage d’un plan séquence est un moment qui se prépare, c’est une chorégraphie millimétrée à mettre en place qui ne laisse pas place à l’erreur car on ne peut pas la « rattraper au montage ». Dans la ressource Plan traqué proposée par Cinéma 93, la création d’un plan séquence est filmée du tournage à la post production, qui inclut le montage et le mixage, du film Un homme à la mer de Fabien Gorgeart, dans un documentaire de Carolyn Laplanche. Sur le tournage, répétitions sans caméra pour les acteurs et répétitions de prises sont de mises afin d’arriver à un résultat parfait en termes de rythme et de chorégraphie générale. Un dilemme apparaît ensuite durant la post production au montage. L’acteur qui joue le personnage principal, joue mieux sur une des prises. Cependant dans cette même prise, le réalisateur remarque qu’un des deux ambulanciers qui évacue un corps par l’arrière de la maison, pose un regard trop appuyé sur la fenêtre de la salle de bain dans laquelle une femme est censée prendre un bain en chantant. Ce détail n’est pas au goût du réalisateur.  Ce plan le questionne donc, car sans découpage, il doit le conserver dans sa totalité et choisir ce qui est le plus important pour le film selon lui, retirer l’ambulancier qui scrute par la fenêtre et choisir une prise dans laquelle son acteur est moins convaincant, l’inverse.

 

 

Pourquoi faire un plan séquence ?

 

Triche interdite ? Pas tant que ça ! Hitchcock dans son célébrissime huis-clos La Corde en 1948, tente l’impossible, réaliser un film composé d’un seul plan séquence, alors que les bobines à l’époque ne peuvent enregistrer que 12 minutes de films sans interruption. Peu pratique pour un film d’1h20. Il met alors en place des moments où l’objectif de la caméra se retrouve obstrué par des objets, comme par exemple le passage d’un personnage. Un plan séquence peut donc être feint, mais pourquoi ?

 

Cette technique, par sa difficulté, porte son utilisation au rang de preuve de virtuosité. Dans le film 1917 réalisé par Sam Mendes en 2019, la forme du film donne l’illusion d’un film en plan séquence. L’usage de cette forme cinématographique exigeante n’est pas passé inaperçu, mais lui a valu quelques critiques. Sandra Onana écrit dans Libération en 2020: « Tout à ses ambitions visuelles dopées à la virtuosité technique, Sam Mendes rejoue la Grande Guerre dans un spectacle immersif et sans point de vue. […] L’intrigue de 1917 ne prétend donc pas être autre chose qu’un prétexte à la mise en branle d’un dispositif visuellement subjuguant ».

 

Outil de virtuosité technique, le plan séquence est aussi outil de virtuosité poétique et d’affirmation politique. Le film L’Aurore de Murnau (1927) qui suit le trajet d’un des personnages principaux vers son amante, laisse aux sectateurs, grâce à l’utilisation du plan séquence, le temps d’observer ce paysage brumeux, tortueux, sinueux, projection visuelle de l’intériorité du personnage chère à l’esthétique expressionniste.

 

Faire un plan séquence a aussi été, dans les années 50, un geste de prise de position politique par rapport au cinéma. Les réalisateurs du néoréalisme italien comme Roberto Rossellini dans Rome Ville ouverte en 1945 ou Vittorio de Sica dans Le Voleur de bicyclette en 1948, l’utilisaient pour contraster avec le cinéma hollywoodien, qui lui, était porté sur l’action et la progression de l’action sans s’attacher aux détails dans un souci d’efficacité.

 

©Universal Pictures Video