L’histoire de la rotoscopie
Avec la sortie récente du film japonais Anzu, chat-fantôme (Yōko Kuno et Nobuhiro Yamashita, 2024), vous avez peut-être entendu parler du terme « rotoscopie ». Aujourd’hui, nous allons revenir sur les origines de cette technique d’animation qui croise brillamment l’image réelle et le dessin. Saviez-vous que, malgré son actualité d’aujourd’hui, cette forme d’art remonte en réalité au début du XXe siècle ?
Un art entre la prise de vue réelle et l’animation
Alliage astucieux entre l’animation et le réel, la rotoscopie consiste à dessiner image par image par-dessus une séquence filmée afin de faciliter le processus de création. A l’origine, les artistes utilisaient un rétroprojecteur et des calques pour reporter à la main les images filmées sur du papier. Aujourd’hui, avec l’évolution technique, le papier a presque entièrement laissé sa place à l’ordinateur. Véritable révolution, la rotoscopie permet d’obtenir un grand dynamisme et des scènes avec des mouvements plus réalistes. Les séquences animées deviennent alors plus fluides, mais aussi moins chères et plus rapides à faire. Pour les studios de cinéma, c’est une économie d’argent mais aussi de temps.
Cette invention révolutionnaire est attribuée à Max Fleischer, un des pionniers de l’animation américaine, en 1915. Son nom ne vous rappelle peut-être rien, mais ses créations n’y manqueront pas ! Les studios Fleischer que Max crée avec son frère Dave mettent en scène les célèbres Betty Boop et Popeye dans les années 1930. Ils ont aussi fait naître le personnage de Koko le clown dans Out of the Inkwell (1918) avec le rotoscope, mais les deux frères ne maitrisaient pas encore leur nouvel outil et le rendu final n’est pas aussi bien qu’espéré. Plus tard, ils continueront sur cette lancée avec Les Voyages de Gulliver (1939) et, là encore, la rotoscopie est malheureusement en décalage avec le reste de l’animation.
Pourtant, il ne faudra pas longtemps avant que le rotoscope ne soit exploité à son plein potentiel. En effet, l’innovation que représente cette nouvelle machine attire rapidement la curiosité des studios de cinéma de l’époque, dont un futur géant de l’animation : Walt Disney. Ce dernier décide d’utiliser la machine pour certaines scènes de Blanche-Neige et les sept nains (David Hand, 1937) et, la technique étant bien mieux maitrisée, il s’en sort avec un grand succès. Plus tard, le studio réutilisera la rotoscopie tout au long de son existence pour des scènes dans des films comme Pinocchio (Ben Sharpsteen, 1940), Alice au pays des merveilles (Clyde Geronimi, Wilfred Jackson, Hamilton Luske 1951), ou Aladdin (Ron Clements, John Msuker, 1993).
Cette opposition entre la réussite de la rotoscopie chez les studios Disney et son échec chez les studios Fleischer se reflète sur le reste des productions de cette époque. Lorsque des réalisateurs ne s’en servent que comme une base et ajoutent leurs propres compétences, le rendu peut fonctionner parfaitement (La Reine des neiges, Lev Atamanov, 1957 ; Qui veut la peau de Roger Rabbit, Robert Zemeckis, 1988). Au contraire, lorsqu’elle n’est vue que comme un moyen rapide de gagner de l’argent, le succès n’est pas au rendez-vous (Le Seigneur des anneaux, Ralph Bakshi, 1978). Pourtant, malgré ces résultats partagés, le rotoscope continue d’être utilisé et amélioré jusqu’à l’ère du numérique.
Par ailleurs, la rotoscopie ne s’est pas seulement cantonnée au cinéma, elle s’est aussi rendue utile dans l’art du jeu vidéo. Prince of Persia (1989), Another World (1991), Flashback (1992) ou The Last Express (1997) sont autant de jeux qui ont utilisé cette technologie. Dans un jeu vidéo, les développeurs recherchent souvent des mouvements réalistes qui permettront une meilleure immersion pour le joueur et il n’est donc pas étonnant de les voir dans cette liste.
Moins évidents, certains clips musicaux ont aussi utilisé la technique, comme celui de Take One Me de a-ha (Steve Barron, 1985) ou Breaking the Habit de Linkin Park (Nakazawa Kazuko, 2004) !
Pour en revenir au cinéma, dans les années 2000, certains films tournés avec une caméra et retravaillés numériquement apparaissent donc. L’un des premiers exemples est A Scanner Darkly (Richard Linklater, 2006) dans lequel les acteur.ices – parmi lequels Keanu Reeves, Robert Downey Jr., Winona Ryder – ont été filmés en train de jouer puis ont été modifiés en infographie. Le rendu est particulier et crée une ambiance angoissante mais étant donné que le film est une dystopie, l’effet fonctionne bien.
Ainsi, la rotoscopie continue d’être utilisée de nos jours, plus ou moins discrètement. Récemment, elle a été utilisée dans des films comme Téhéran Tabou (Ali Soozandeh, 2017), They Shot the Piano Player (Javier Mariscal, Fernando Trueba, 2023), ou La Jeune fille et les Paysans (Dorota Kobiela, Hugh Welchman, 2023). Pour ce dernier, son utilisation est très assumée et plus de 100 animateurs ont reproduit 80 000 tableaux qu’ils ont peints puis photographiés, revenant à une utilisation plus traditionnelle.
De plus en plus souvent, elle se combine également aux effets spéciaux numériques plus classiques et est utilisée de manière partielle, en soutien. Pour des films comme Le Seigneur des Anneaux (Peter Jackson, 2001) ou Tron : Legacy (Joseph Kosinski, 2011), le principe de la rotoscopie n’est par exemple utilisé que pour des personnages ou des effets spécifiques : Gollum, le rajeunissement…
Ainsi, la rotoscopie n’a pas perdu de son utilité et, bien qu’elle ne soit plus considérée comme une révolution, elle devrait continuer de fréquenter les studios de cinéma pour un long moment encore !
© Out of the Inkwell, Shamus Culhane
