Histoire

Du journal filmé au vlog (Partie 1/2)



« Salut les gars, j’espère que vous allez bien » lance l’influenceuse la plus populaire de France Léna Situation au début de ses célèbres vlog d’août durant lesquels elle filme sa vie tous les jours d’août et les partage sur Youtube. Mais avant d’être l’expression de l’intimité recréée sur les réseaux, le vlog est en fait le descendant d’un genre cinématographique expérimental, le journal filmé.

 

 

Qu’est-ce qu’un journal filmé ?

 

Un journal filmé, ou « diary film » en anglais, est un genre particulier au cinéma, qui se développe dans les milieux du cinéma expérimental dans un premier temps, et s’articule autour de l’« auto filmage », c’est-à-dire l’activité de se filmer ou de filmer soi-même sa vie, son quotidien de manière récurrente, dans un film organisé chronologiquement.

 

 

 

Les racines du journal filmé 

 

Le journal filmé vient de la pratique déjà très éprouvée du journal intime manuscrit. Mais il s’en éloigne par le caractère fragmenté de la création de chacun de ses segments et ses modalités de diffusions moins intimes.

En effet, dans un journal filmé, la caméra capte un moment, elle le saisit, puis le cinéaste le monte rétrospectivement et peut y ajouter une voix off, du son,… alors qu’il est rare dans un journal intime de revenir réécrire à propos de la même journée sur la même page une semaine après. Comme il est rare de le projeter à la vue de tous. Cette utilisation des outils du cinéma en fait alors une pratique qui, dans ses débuts en tout cas, demandait un peu plus de matériel qu’un crayon et un cahier.

 

 

Le journal filmé, enfant du progrès technique

 

Le matériel, parlons-en ! Si vous voulez vous lancer en 2024, il vous suffit de vous munir de votre meilleur smartphone et de filmer. Mais à l’époque des frères Lumière, autour de 1895, cela pouvait s’avérer un peu plus complexe. Les caméras, qui faisaient aussi projecteur, étaient lourdes et encombrantes. Pas pratiques à fourrer dans ses poches ! De plus, les images étaient impressionnées sur une pellicule onéreuse et inflammable à la projection, faite en nitrate de cellulose. C’était donc un peu plus dangereux de projeter des films à l’époque que ça ne l’est aujourd’hui de montrer sa sortie poney à sa meilleure amie sur l’écran de son téléphone. Heureusement, en 1908, Eastman Kodak produit une pellicule dite « ininflammable » en acétate de cellulose qui règle ce problème.

 

Une fois ce problème de combustion résolu, qu’en est-il de la taille de la pellicule dont va dépendre la taille du matériel ? Kodak a alors de nouveau une idée et propose en 1933, la caméra Ciné-Kodak-Huit, une caméra 8mm, c’est-à-dire utilisant une pellicule de 8mm de large, coiffant au poteau le 16 et le 9,5 mm avec lesquels elle était en concurrence.  Mais il faut encore attendre 1965 pour la sortie de la fameuse caméra phare des films de famille, la Rolls Royce du cinéma amateur, j’ai nommé, la Super 8. Elle utilise une pellicule accessible et son format portatif permet de donner au plus grand nombre la capacité de filmer. Pour ce qui est du son, il faut encore attendre 1974 pour que Kodak sorte la caméra Ektasound qui rend accessible la prise de son et image en instantanée sur la pellicule.

 

Aujourd’hui l’utilisation de la pellicule relève plutôt d’un fétiche pour le vintage que d’une pratique courante, le numérique ayant pris sa place. C’est entre 1960 et 1970 que des appareils vidéos produits par Sony se développent, sans pour autant faire de l’ombre dans les foyers à la Super 8, encore bien moins chère à cette époque. Mais dans les années 80 apparaissent des technologies qui vont peu à peu amorcer significativement le passage de la pellicule au numérique avec les formats HI-8 par exemple et surtout la démocratisation de la VHS. Et c’est au début des années 2010 qu’apparaissent les canaux de diffusion internet comme Facebook ou Youtube qui vont permettre la facilitation de la diffusion des journaux filmés et impulseront leur mutation en vlog.

 

Avec le développement technique et la plus grande accessibilité des caméras et du matériel de projection, c’est le cinéma amateur dont découle la pratique du journal filmé qui progresse de manière exponentielle jusqu’à nos jours.

 

Rendez-vous la semaine prochaine pour la seconde partie de cette chronique qui explorera la question du journal filmé dans le milieu du cinéma expérimental et son évolution esthétique vers la forme du vlog.

 

© Anne Charlotte Robertson: Anne with camera Apologies, , Anne Charlotte Robertson, USA, 1986/1990